François Calay

La solitude ... choisie ou forcée ?

calayDéfinition de la solitude

Etat d'une personne qui est seule. Caractère d'un lieu isolé, désert, éloigné de la vue, de la fréquentation des hommes.
Synonymes : éloignement, isolement, claustration, quarantaine, retranchement, séparation, retraite, déréliction, délaissement.

La solitude, choisie ou forcée ?

On peut différencier deux types de solitudes :
- celle que je choisis, que je recherche, que je décide de vivre. C'est la solitude choisie.
- celle qui m'est imposée suite à un rejet, mais que je ne désire pas. C'est la solitude forcée.

1) La solitude choisie

C'est une solitude que je choisis de vivre et d'assumer.

Elle peut provenir

- de ma force

Quand je suis fort, je m'isole volontairement car les autres sont une entrave à mon avancée, mon évolution.
Exemples : la créativité artistique, voire scientifique, l'entraînement sportif, les exploits ou défis.
Vivre des moments de solitude est alors une nécessité, qui permet un ressourcement profond, un recentrement sur moi-même.

- de ma faiblesse

Quand je suis faible, je m'isole volontairement pour ne pas rencontrer plus fort que moi, ne pas être dérangé dans mon besoin de concentration.
Exemples : Une personne handicapée des jambes cherche des lieux où marcher seule à son rythme, un conducteur qui n'est pas sûr de sa conduite va chercher des routes peu encombrées.

- de mes choix personnels

Cela permet de ne pas devoir essayer de m'intégrer dans un groupe qui pourrait me rejeter, ou de ne pas avoir à fréquenter un lieu que je ne désire pas car il pourrait m'être néfaste et ne me convient pas.
Exemple : une personne abstinente d'alcool ne fréquente pas les comptoirs de café, et un hyperacousique n'assiste pas à des concerts rock ultra-bruyants.

- parce qu'être seul est un vrai bonheur pour ceux qui savent l'assumer

Le bonheur d'être seul ? Pour certains, c'est un bonheur choisi et profond ...
x Oui, parce que cela me permet de trouver mon espace personnel, et d'y évoluer avec ... tranquillité. C'est le lieu où je peux essayer d'être à l'écoute du mystère de mon âme. Quel souffle ...
x Oui, parce que je n'y ai plus d’autres obligations que celles que je me donne. Je laisse alors ma pensée voyager, je ne compose pas, je ne me mesure à personne, je n'ai de compromis à faire qu'en fonction de moi-même. Quel répit ...
x Oui, parce que je peux donner libre cours à ma créativité, vivre intensément l'instant présent, sortir de tous les rôles sociaux qui m'étouffent. Cet espace personnel est le seul lieu où je peux ouvrir tous mes canaux. Quelle sublimation ...
x Oui, parce que, seul, je n'ai pas à me conformer à certaines des règles de la vie en société, que je n'accepte pas. Ce temps de solitude, c'est vivre dans un monde qui me convient. Quelle liberté ...

Comme le disait un solitaire : "Je suis seul responsable de moi ... car dans la communauté humaine, quand je vois le niveau d'irresponsabilité moyen ...et l'individualisme de chacun ... et le niveau intellectuel et affectif de la majorité des gens ... mieux vaut vivre isolé plutôt que dans un leurre qui est une cohabitation de solitudes vivant dans l'illusion de ne pas l'être. Je suis finalement toujours seul dans mon cadre de vie, là où j'excelle. Avant d'exister avec les autres, il faut vivre pour soi et dans son cadre, son vrai soi, et se recentrer sur soi-même. On vit pour soi avec les autres, pas à travers eux ni englouti par eux."

Mais je suis humain, j'ai besoin, après un certain temps de solitude, de la présence et du miroir existentiel des autres, de réconfort, de tendresse, de partage, d'échange d'émotions. Je retourne alors vers leur présence, même si elle est souvent frustrante.
Est-ce le besoin d'être en contact avec ce que les autres me renvoient ? Est-ce un désir narcissique de me tester, de me plaire à travers leur regard ? Quoi qu'il en soit, l'homme n'est tout de même pas fait ... pour vivre seul ...

2) La solitude forcée
panneau

C'est celle que je subis. Elle est là parce que j'ai raté mon intégration dans un groupe. Je me sens exclu. Ce n'est d'ailleurs pas seulement un ressenti, c'est une réalité : je suis exclu.
Exclu parce que je suis trop différent, parce que je ne connais pas le langage social du groupe, parce que mes centres d'intérêts, mes opinions, mon mode de vie, mes besoins, mes choix, ne correspondent pas à la norme du groupe en question.

Ce rejet peut provenir
- de moi-même, avec une perte de confiance en mon potentiel, un ressenti d'être trop différent, une impasse
- du groupe, qui n'accepte pas (consciemment ou non) quelqu'un qui n'est pas dans sa norme.

Le résultat sera identique : la communication sera très difficile, voire impossible, et je vais vivre une très grande souffrance de rejet. Le groupe, lui, ne s'en rend souvent pas compte. Il se sent débarrassé d'un poids et ne se posera pas généralement pas de questions sur son comportement ou sa responsabilité : il me désignera comme seul coupable de mes difficultés.

Tout cela s'applique à quiconque ne rejoint pas les intérêts d'un groupe, quelle qu'en soit la raison : physique (handicap), émotionnel (famille), social (racisme), intellectuel (élitisme), etc.
Il faut apprendre à sélectionner avec prudence et intuition ce qu'il faut dire, à qui on peut le dire, et ... prendre plaisir à jouer le "bon" rôle, toujours et partout ...

Je suis souvent confronté à ce type de problème : mes ressentis et mes besoins sont trop différents de la norme pour pouvoir m'y insérer avec aisance. Dans certains groupes, je fais naître une méfiance, consciente ou non, qui conduit au rejet. Même si je possède par nature le bagage nécessaire à vivre dans une certaine solitude, cela me fait mal, parfois très mal ! "

Et les individus dits "ultra-sociables" ?

Cette sociabilité à outrance ne proviendrait-elle pas d'une peur profonde de la solitude ? Un groupe, qu'il soit animal ou humain, survit plus facilement qu'un individu isolé. Pour survivre en solitaire, il faut être très fort, vigilant, combatif, entreprenant, prêt au défi.

Certaines personnes n'ont pas ces caractéristiques. Elles ne supportent pas de rester seules, la solitude est pour elles synonyme de tristesse et d’abandon.

Selon les psychanalystes, ceux qui vivent mal la solitude ont souvent souffert de carences affectives précoces : soit par une séparation réelle d’avec l'un des deux parents, vécue comme un traumatisme (voyage, hospitalisation, décès), soit que, présents physiquement, les parents aient été psychiquement absents (dépression, anxiété, préoccupations).
Le fait de se retrouver seul ravive alors la douleur de l’absence parentale initiale. Ces adultes ont besoin que l’amour des autres leur soit rappelé en permanence.

Une relation difficile à la solitude peut être aussi liée à une phobie. La difficulté à se retrouver seul est le résultat visible d’une autre peur qui n’est pas reconnue comme telle : la peur du silence, de l’obscurité, et surtout la peur de soi-même, de se retrouver face à son monde intérieur. L’autre devient un objet "contraphobique", qui rassure et permet de lutter contre l’angoisse.

Elle peut aussi être liée à des peurs objectives, à un traumatisme réel, même mineur (avoir été suivi par un inconnu, harcelé au téléphone, importuné dans la rue, etc.). Une personne qui a été agressée aura peur que cela se reproduise et ne pourra rester seule.

La solitude dans les moments difficiles ...
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Chacun supporte plus ou moins bien la solitude, et il nous arrive à tous de fuir le face-à-face avec nous-mêmes en nous étourdissant de monde. L’important est de pouvoir alterner moments de solitude et moments de sociabilité : c’est ce qui signe la maturité affective.

Et pourtant, la solitude est bien là, qu'on le veuille ou non, dans les moments les plus intenses de notre vie :

1) La solitude dans la souffrance profonde

Je suis toujours seul dans ma souffrance, qu'elle soit physique ou psychologique.
La meilleure présence de l'autre, c'est celle qui ne s'exprime pas avec des mots : avoir quelqu'un près de moi, silencieux, qui respecte mon mystère.

2) La solitude dans les moments heureux

L'autre n'est pas capable de partager ces moments, s'il ne les vit pas. Il n'y a rien de pire que d'avoir à partager une grande joie avec quelqu'un qui n'y attache pas d'importance.
C'est dur, dur ... et contenir l'expression de ma joie m'a parfois amené à chercher consolation dans les produits addictifs !

3) La solitude dans les moments clefs

Les décisions les plus intimes de ma vie personnelle, je les prends seul, avec ma force intérieure.
Ce ne serait pas le moment d'être ni mal conseillé, voire influencé, ou de devenir dépendant de quelqu'un - notamment par transfert !

4) La solitude face à la mort

Sans doute le meilleur et le plus juste moment de solitude, celui où l'attente de l'autre devient celle de l'Autre, du Celui, du Moi.
Plutôt mourir seul, qu'entouré de rapaces athées !
J'espère qu'après ce moment ... où l'on sait qu'après, ... je ne serai plus jamais seul, car le projet de mon âme est de rejoindre le Seul qui puisse éventuellement la comprendre ... enfin j'espère ;-)

L'enfer, c'est les autres ?

Sartre écrivait en 1964 :

"« L'enfer c'est les autres » a été toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout autre chose que je veux dire.
Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes.
Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger.
Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui et alors, en effet, je suis en enfer.
Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres, ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous."

Sartre voulait donc dire que nous nous créons notre enfer en étant dépendants du jugement des autres. Jamais nous ne pourrions répondre à cette question fondamentale : "Qui suis-je ?" sans avoir de contact avec autrui. C'est à travers eux et nos réactions que nous apprenons à découvrir vraiment notre personnalité, pour ensuite cibler nos lacunes et réaliser un travail sur nous-mêmes.

L'enfer, ce n'est pas les autres, c'est le fait de se sentir exclu, jugé ou ridiculisé par ceux-ci. Il faut apprendre à se détacher du regard des autres et de leurs jugements hâtifs.

Et pourtant .... pour certains, l'enfer, c'est de vivre avec les autres.
La psychologie dit que cette forme de suffisance peut provenir de l’enfance : "si l’on m’a dit que j’étais le plus intelligent, le plus fort …, pourquoi irais-je vers l’autre, qui ne m’apporterait rien ?"
Quand l’éducation n’a pas inculqué le goût du partage et de la découverte d’autrui, l’enfant développe un égoïsme qui peut se manifester par le retranchement, par peur des autres : "Lorsque vos parents vous disent - et montrent - qu’il ne faut faire confiance à personne, vous en devenez individualiste !"

Conclusion

Malgré ce beau moralisme psychologique, je constate encore et toujours que "Là où les hommes ne sont pas, je vois et respire Dieu."

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refletTémoignage d'une ermite

"Vivre seul"... ce n'est pas évident, c'est plein de pièges s'il n'y a pas une solide vie intérieure ... vivre seul n'est pas "normal" et ne veut pas dire "libre de toute contrainte" ... il y a une vigilance permanente, un éveil constant, pour ne pas vivre "au gré de sa fantaisie, de ses fantasmes, de ses désirs fous" et donc au risque de me disloquer rapidement.
Les barrières, solides et à entretenir, sont toutes "à l'intérieur". Chaque choix, je le pèse"en mon for intérieur" pour rester "dans la ligne de mon choix fondateur" ...

Décembre 2010

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Quelques citations :

Une seule chose est nécessaire : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même et ne rencontrer pendant des heures personne, c'est à cela qu'il faut parvenir. Etre seul, comme l'enfant est seul
Rainer Maria Rilke

La pire souffrance est dans la solitude qui l'accompagne.
André Malraux

Notre grand tourment dans l'existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu'à fuir cette solitude.
Guy de Maupassant

Il faut souffrir ponctuellement de la présence des autres, pour apprécier ensuite la solitude en connaissance de cause : les vrais solitaires ne sont pas des ermites, mais des mondains intermittents.
Didier van Cauwelaert

Si vous craignez la solitude, ne vous mariez pas !
Anton Tchekhov

La solitude offre à l'homme intellectuellement haut placé un double avantage : le premier, d'être avec soi-même, et le second de n'être pas avec les autres.
Arthur Schopenhauer

C'est dans les villes les plus peuplées que l'on peut trouver la plus grande solitude.
Jean Racine

La solitude est très belle... quand on a près de soi quelqu'un à qui le dire.
Gustavo Adolfo Bécquer

À la mort de son mari, elle cessa enfin de se sentir seule.
Gilbert Cesbron

Apprendre à être seul, c’est apprendre à être libre.
Anonyme

La solitude est un enfer pour ceux qui tentent d'en sortir; elle est aussi le bonheur pour les ermites qui s'y cachent.
Kôbô Abé

La solitude est peut-être le prix à payer ... de l'autonomie.
J. Anthony

"On me reproche le goût de la solitude. Je suis plus accoutumé à mes défauts qu'à ceux d'autrui."
Chamfort

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