François Calay

L'ennui

ennuiTermes connexes et synonymes :

Contrariété, dégoût, lassitude, mélancolie, neurasthénie, cafard, inquiétude, tracas, préoccupation, tourment, inconvénient, complication, difficulté, pépin, tuile, déception, embarras, chagrin, peine, tristesse, souci, mal, désagrément, agacement, déboires, douleur, monotonie, spleen, désoeuvrement, languir, tarabuster, rébarbatif.

L'ennui : activité ... complexe

L’ennui, phénomène polymorphe, désigne à la fois une expérience individuelle et une figure du malaise social dont tout le monde connaît le nom et l’expérience. Ordinaire ou pathologique, il apparaît bien, dans les variations de ses manifestations, comme une réalité incontournable et universelle qui interroge le rapport de l’homme à son désir et à son acte.

Qu'est-ce que l'ennui ?

J'expérimente l’ennui quand je m’occupe à quelque chose qui est dénué de sens pour moi.

Comment comprendre l’ennui ? D’où vient-il, et pourquoi s’abat-il parfois brusquement sur nous ?

Il peut paraître curieux de vouloir analyser ce sentiment – ne cherchons-nous pas en permanence à l’éviter ? L’ennui nous rend mélancolique ou impatient, il survient quand nous n’arrivons pas à nous occuper et que les choses perdent leur intérêt. Rien n’est plus morne que cet état : quel peut bien être alors l’enjeu de son analyse ?

Nous sommes dans une gare et attendons notre train, nous lisons, faisons les cent pas, jetons des regards aux alentours, mais rien n'arrive à nous détourner de ce sentiment de vide. Que ne donnerions-nous pas alors pour accélérer le temps ?

L’ennui nous place devant plusieurs paradoxes : nous sommes oppressés, alors que nous avons tout le temps. Et ce temps que nous aimons avoir, nous voulons le fuir. Ce temps, dont nous disposons, nous oppresse et nous le "tuons" !

Nous fuyons l’ennui comme s’il nous guettait, comme si à tout instant il pouvait revenir. L’ennui ne vient pas des choses ennuyeuses : c’est une disposition en nous qui rend les choses aimables ou ennuyeuses – si nous fuyons l’ennui, c’est qu’il est déjà là et signifie quelque chose de fondamental.

Dans l’ennui nous sommes abandonnés à nous-mêmes et dépossédés de nos tâches habituelles. Mais cette dépossession n’est-elle pas aussi une forme de libération ? Cela devrait représenter un moment où nous comprenons qui nous sommes, nous qui devrions pouvoir, en théorie du moins, décider à tout instant de ce que nous faisons …

À quoi sert l'ennui ?

L’ennui m’informe du fait que ce sur quoi je porte mon attention ne répond à aucun intérêt ou aucun de mes besoins actuels.

L’ennui est un signe. Il peut signifier quelque chose de positif ou de négatif. Par exemple, cela peut vouloir dire que ce que je suis en train de faire est trop facile ou au contraire que ça n’a aucun intérêt pour moi.
L’information est donc intéressante. C’est le symptôme que mon attention n’est plus concentrée.

Entre autres, l'ennui peut survenir lorsque :
- on m'empêche de faire quelque chose
- on me force à faire quelque chose
- je n'arrive pas à rester concentré (trop facile ou sans intérêt).

Il m’arrive souvent de demeurer passif devant l’ennui, en attendant qu’il passe. Ou bien, je cherche à "meubler le temps", pour éviter de le ressentir trop clairement.

Pourquoi est-il si tentant de demeurer passif devant l’ennui ? Parce que, pour chasser l’ennui, je dois m’occuper à quelque chose qui a du sens pour moi. Or j’arrive parfois difficilement à identifier mes intérêts ou mes véritables besoins du moment. À cause de cela, j’ai l’impression de ne pas savoir ce que je veux, d’être incapable de l’identifier.

Si on la néglige trop, la faculté de cerner ses intérêts et ses besoins a tendance à s’atrophier. C’est ce qui arrive quand on néglige longtemps ses besoins en laissant aux autres le soin de décider ou en faisant passer leurs besoins avant les nôtres. C’est aussi le cas de celui qui passe la majeure partie de son temps à faire "ce qu’il doit faire", sans se soucier de ses intérêts et de ses besoins. Lorsqu’il se libère enfin du temps pour lui, il ne sait souvent plus comment l’occuper d’une manière satisfaisante.

Si je n’arrive pas à sortir de l’ennui ou si je m’ennuie souvent, c’est le signe que je ne suis pas en contact avec mes intérêts, mes goûts et mes besoins. Ça peut venir du fait que je ne prends pas le temps de les identifier, ou encore que j’ai des difficultés à le faire.

mur de BerlinUn remède contre l'ennui ? (Remy de Gourmont)

«L'ennui ! Mot terrible et justement redouté !
Que de remèdes l'homme n'a-t-il pas inventés contre ce mal, remèdes, hélas!, souvent plus ennuyeux encore que l'ennui même.
Leur nom général est "plaisirs", qu'il ne faut pas confondre avec "plaisir".

Le plaisir est un fait, quoique rare.
Les plaisirs, quoique abondants et communs, sont une recherche, et presque toujours vaine.
Quand on réussit à opposer au géant "ennui" l'armée des nains "plaisirs", le géant étouffe les nains en quelques gestes et reprend sa pose lassée.

L'ennui, à vrai dire, est invincible. On naît ennuyé comme on naît jovial. Cependant, à côté de cet ennui fondamental, dont certains humains sont victimes, il y a diverses variétés d'ennuis qui tiennent aux circonstances de la vie et par conséquent peuvent n'avoir qu'une existence passagère. Ils ont une cause occasionnelle, prêts à disparaître avec la cause elle-même.

Ces ennuis secondaires prennent différents noms : mélancolie, nostalgie, tristesse, mais leur classement est assez difficile, parce qu'ils se modifient à l'infini selon les sensibilités, selon les lieux, selon les âges et même selon les siècles.»

L'ennui : sensation physique du chaos

«L'ennui est la sensation physique du chaos, c'est la sensation que le chaos est tout. Le bâilleur, le maussade, le fatigué, se sentent prisonniers d'une étroite cellule. Le dégoûté, par l'étroitesse de la vie, se sent prisonnier d'une cellule plus vaste. Mais l'homme en proie à l'ennui se sent prisonnier d'une vaine liberté, dans une cellule infinie.»
Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité

L'ennui est socialement toléré !

L’ennui est socialement toléré, voir encouragé. On se retrouve dans l’ennui. C’est toujours un point commun que l’on peut trouver chez les autres. Il peut d'ailleurs servir de prétexte de rencontre.
Il est "normal" de s'ennuyer, mais ce n'est pas "bien vu".
Souvent, l’ennui frappe sans prévenir. C’est assez sournois quand on y pense ...

Faire, avoir, ou être

Il est très difficile de ne rien "faire", "avoir" peu , seulement "être" .

"Faire" quelque chose, c'est un assouvissement de plusieurs besoins, incluant le besoin de créativité, celui d'être utile, celui d'être reconnu, celui de survivre matériellement.

Même en "faisant" quelque chose, je peux m'ennuyer , si je ne suis pas intéressé par ce qui se passe, si je n'en retire aucune satisfaction, si les besoins nécessaires ne sont pas assouvis.
Et pourtant, c'est parfois un passage obligé : certaines choses m'ennuient, mais je dois les faire.

Heureusement, de la peur de l'ennui, ou dans l'ennui lui-même, peut parfois naître la créativité.

Vivre à 300 km/h, occuper 300% de son temps ...

Pour quelqu'un qui vit à 300 km/h, le pire ennemi, c'est de manquer de temps. S'ennuyer, c'est avoir du temps devant soi, et ne pas savoir qu'en faire. "Cela m'ennuie" représente alors la pire des frustrations, le dérangement ultime par rapport à qui je suis, ou par rapport à ce que je désire être ou faire.

Vivre à 300 km/h, c'est une fuite en avant, une manière de ne pas regarder les problèmes en face à face.
S'occuper à 300% ... parce qu'on a peur de l'ennui ? ...

La peur de l'ennui alors la peur de l'arrêt, du silence, d'être passif, de se retrouver face à soi-même.

Et le travail répétitif ?

J'admire la patience et la force sereine des gens qui travaillent dans des métiers répétitifs.
Moi, personnellement, cela m'est totalement impossible : quelques minutes, voire quelques heures tout au plus : je me lasse, cela m'énerve, je désire découvrir autre chose ...

Et pourtant, il faut reconnaître qu'il existe des routines sécurisantes appartenant à des structures dynamisantes : tout réinventer constamment, sous prétexte d'éviter la routine, prend une énergie folle et totalement injustifiée : c'est même très déséquilibrant car profondément insécurisant !

Témoignage de Denise, 67 ans :

"Je n'ai pas le temps de m'ennuyer depuis que je suis pensionnée. Si j'étais seule dans un appartement sans jardin, ce ne serait pas la même chose, mais dans ma maison, avec son environnement, il y a toujours quelque chose à faire, ne fût ce que sortir et marcher.
L'ennui n'est-il pas une caractéristique des gens dépressifs, renfermés sur eux-mêmes, ou pas assez débrouillards pour s'intéresser à ce qui les entoure ?
Les choses qui m'ennuient sont celles qui me contrarient, ne me conviennent pas, me sont imposées.
L'ennui est, pour moi, une insatisfaction que je ressens comme une perte de mon temps par rapport à mon projet de vie.
L'inverse de l'ennui, ce n'est pas l'activité, mais c'est le bien-être, la joie."

Denise G.

Moyens pour sortir de l'ennui, quand je m'ennuie :

- se changer les idées (volontairement ou non)
- vivre un événement surprenant (visite, coup de téléphone)
- entrer dans l'obsession, les addictions, les assuétudes : essayer de se remplir de quelque chose d'extérieur
- au pire : la mort, issue possible en cas de dépression longue et profonde

Quand quelqu'un ou quelque chose m'ennuie :

"Tu m'ennuies, il m'ennuie, cela m'ennuie, j'ai des ennuis ..."
"Tu m'ennuies" signifie : "tu déranges mes projets, mes plans".

Quels sont les possibilités ?
- prendre contact avec la personne et négocier une solution.
- sublimer : accueillir la situation, vivre un état de sagesse.
- rester dans la culpabilité : "je m'en veux d'être si sensible ..." et se faire des reproches.
- être totalement envahi, englobé, par ses émotions, et soit développer de la colère contre l'autre, soit être prêt à n'importe quelle humiliation pour amadouer cet autre et éviter un conflit difficile.
- pire encore : si l'ennui devient obsessionnel, la réalité peut se déformer complètement et les choses vont prendre une ampleur surréaliste. La panique peut éventuellement surgir : "Comment vais-je m'en sortir ?".

Conclusion :

Rédiger cette longue page fut bien nécessaire : pendant ce temps, je ne me suis pas ennuyé ... ;-)

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"On s'ennuie presque toujours avec ceux que l'on ennuie."
François de La Rochefoucauld

"C'est pour ne pas s'ennuyer que les vaches regardent passer les trains"
Anonyme

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